JOURNÉE D’ÉTUDE SUR L’ENSEIGNEMENT DE L’ART DRAMATIQUE

La créativité est l’un des principaux éléments permettant de faire des apprentissages, des « créatissages » comme l’affirme Isabelle Capron Puozzo (2016), développant entre autres la capacité à : communiquer avec les autres (Csikszentmihalyi, 1996); produire quelque chose de nouveau, d’original (Gruber, 1981); associer des idées visant à créer de nouveaux liens (Cropley, 1997); exercer sa pensée divergente (Guilford, 1950); tolérer un certain déséquilibre, à l’ambiguïté (Dacey et Lennon, 1998); développer l’esprit critique (Vincent-Lancrin et al., 2020) et cultiver l’imagination (Greene, 2000; Chaîné, 2012). La créativité est « ce désir d’explorer et d’inventer sans connaître d’avance son utilité potentielle ne s’enseigne pas, mais elle doit être détectée, reconnue et encouragée » (Haddad, 2012, p. 2). En effet, elle exige de l’audace personnelle et, par conséquent, de l’autonomie qui rompt avec une certaine routine.

Le développement de la créativité dans la formation des enseignant·e·s représente donc une nécessité tant pédagogique que culturelle dans un monde éducatif en constante transformation. Face à la diversité croissante des apprenant·e·s, à la complexité des contextes scolaires et aux nombreux imprévus de la pratique, les enseignant·e·s sont amené·e·s à se réinventer, à adapter leurs savoirs et à concevoir des réponses pédagogiques originales, à créer un espace ou un environnement propice à l’épanouissement de chacun, et ce, au quotidien. Par conséquent, leur travail exige de la créativité et le développement d’une posture d’ouverture, de flexibilité et de curiosité active permettant de modifier ses plans selon les besoins réels des élèves, de s’ajuster aux situations imprévues et d’oser explorer des approches nouvelles. La créativité est alors envisagée comme une compétence transversale, capable de transformer les gestes professionnels au contact de la complexité (Giglio, 2023). Elle repose aussi sur la capacité à penser autrement, à sortir des cadres établis, à nourrir sa pratique par le dialogue interdisciplinaire et les dynamiques de collaboration. Les personnes créatives présentent des qualités qui s’enchaînent et se nourrissent l’une l’autre – sens de l’aventure, tolérance à l’inconnu, curiosité active, ouverture à l’expérience, goût du jeu, suspension du jugement, tolérance à l’ambiguïté, etc. La curiosité active implique de faire des choix, ce qui engendre le mouvement, lance l’action et rend disponible à l’aventure (Saives et Bernèche, 2023).

En enseignement de l’art dramatique, la créativité occupe une place centrale. L’artiste pédagogue en milieu scolaire travaille à partir de multiples approches esthétiques. Il doit pouvoir s’adapter à des contextes variés — qu’il soit dans les grandes ou petites villes, bien dotées en ressources ou plus précaires — tout en restant attentif aux réalités sociopolitiques et culturelles de ses élèves. Cela suppose une solide formation disciplinaire, une culture théâtrale vivante et la capacité à mobiliser des techniques issues de dramaturgies, mises en scène et pratiques contemporaines diverses. Loin des modèles figés, l’enseignement du théâtre à l’école devient un espace de recherche pédagogique, d’ancrage dans l’actualité et de valorisation de la diversité. La posture créative qui en découle implique un mouvement dialectique : chaque choix, chaque forme donnée à une idée suppose l’abandon d’autres possibilités. En ce sens, la créativité est à la fois un acte de délimitation et une ouverture vers des alternatives insoupçonnées, comme le souligne Fayga Ostrower dans sa réflexion sur le potentiel créateur (Ostrower, 2014).

Inclure des approches créatives dans la formation initiale et continue des artistes pédagogues en enseignement de l’art dramatique ne relève donc pas d’un simple enrichissement méthodologique, mais d’un véritable changement de paradigme pédagogique. En cultivant leur propre créativité, ils·elles apprennent à sortir des logiques de reproduction et à entrer dans des processus de création partagés avec leurs élèves. Cette posture favorise l’élaboration d’une pédagogie sensible, où les apprentissages se construisent à partir de situations réelles, de matériaux vivants et de langages artistiques multiples.

La créativité enseignée et vécue en art dramatique agit également sur le climat de classe. Les élèves perçoivent qu’ils·elles ont une place dans le processus, que leur contribution est valorisée, et que l’erreur ou l’inconnu ne sont pas sanctionnés, mais accueillis comme des étapes du chemin créatif. Cela nourrit un rapport plus libre, plus confiant à l’apprentissage, et ouvre la voie à des pratiques inclusives, respectueuses de la diversité des parcours et des imaginaires. En ce sens, « stimuler l’imaginaire et la créativité des [élèves] dans l’action et la co-action [présente] un défi constant et requière [une posture] accordant une large place à l’écoute et à la créativité pédagogique » (Marceau, C. 2022. p. 190). Cette créativité exige aussi une connaissance approfondie du champ artistique dans lequel elle s’inscrit. Howard Gardner (2006) insiste sur la nécessité d’une immersion prolongée dans un domaine, ainsi que sur l’importance de la prise de risque, de la tolérance à l’échec et de l’interaction avec une communauté de pairs qui évalue la pertinence et l’originalité des propositions (Ibid.). Les retombées de ces pratiques sont multiples : les élèves développent non seulement des compétences artistiques, mais aussi une capacité accrue à coopérer, à résoudre des problèmes, à prendre la parole en public, à affiner leur regard critique et à exercer leur autonomie dans un cadre structurant. L’art dramatique, lorsqu’il est transmis dans une perspective créative, devient un puissant outil de subjectivation, où chacun·e peut expérimenter différents rôles sociaux, explorer des identités et développer l’empathie.

Enfin, développer la créativité chez les artistes pédagogues c’est reconnaître leur droit à expérimenter, à douter, à chercher de nouvelles formes d’intervention. Cela revient à considérer leur pratique comme un espace d’invention continue, où la liberté pédagogique et l’exigence de sens sont indissociables. Il s’agit d’un engagement professionnel exigeant, mais fondamental, pour faire de l’école un lieu vivant, sensible et transformateur (Sawyer, 2012 ; Craft, 2005).

La journée d’étude du GRET nous permettra de réfléchir ensemble à la créativité des artistes pédagogues et à celle qui est développée auprès des élèves dans la classe d’art dramatique.